1-54
LE TEMPS DES RÉCITS PLURIELS
1-54 à Somerset House : treize ans d’ancrage, d’ouverture, de résonance.
Il y a du mouvement, de l’effervescence, une tension joyeuse dans l’air. À Somerset House, la foule afflue, curieuse et vibrante, prête à plonger dans la scène artistique contemporaine africaine et diasporique. Dans cette bâtisse historique, chaque pièce s’illumine d’une énergie propre, portée par les artistes et les récits qu’ils incarnent. 1-54 revient plus vivante que jamais.
Ndidi Emefiele, Gallery Rosenfeld, Londres - 2025 ©️ the Narrative
UNE CARTOGRAPHIE EN MOUVEMENT
Depuis treize ans, la foire 1-54 inscrit une cartographie mouvante de la création africaine et diasporique au cœur de Londres. Plus qu’une foire, c’est un espace de résonance : entre passé et futur, entre marché de l’art et mémoire collective. Pour cette édition, Somerset House devient à nouveau un écrin de récits pluriels. Des voix du continent aux échos transatlantiques, des pratiques modernes aux gestes de demain, plus de 50 galeries et 100 artistes forment un chœur polymorphe.
Mais 1-54, c’est aussi une revendication douce : celle d’une visibilité pérenne, d’une égalité structurelle et d’un ancrage curatorial profond. L’accent porté sur la création nigériane et sud-africaine, la présence affirmée des femmes artistes et galeristes, les projets spéciaux comme Earthworks de Mónica de Miranda, ou encore l’hommage vibrant à Koyo Kouoh, s’inscrivent dans une volonté claire : faire entendre les contre-récits, nourrir les dialogues transcontinentaux et investir les institutions avec des récits longtemps périphériques.
Courtyard installation by Monica de Miranda 'Earthworks' (2025) Performance ©️ 1-54 London - Violeta Sofia Cynara (2025) - Simon Ojeaga, Warm Hands, 2024, ©️ Courtesy of O'DA Art - Justin Dingwall, Gallery Eclectica contemporary ©️ the Narrative
ERRANCES SENSIBLES DANS UN LABYRINTHE D’HISTOIRES
Somerset House, en cette semaine d’octobre, ressemble à un labyrinthe vivant. À chaque embrasure, une surprise. À chaque escalier, une voix. On se perd et on se retrouve entre cour intérieure et ailes latérales, comme si l’on explorait un archipel d’îles artistiques. Les visiteurs s’y croisent en flottement, boussole à la main ou regard au plafond, à la recherche de la prochaine claque visuelle. C’est cela, 1-54 : une exploration. Une traversée où l’on vient acquérir, toujours découvrir.
Dès l’entrée, Mónica de Miranda donne le ton avec Earthworks, son installation monumentale qui transforme la cour en jardin sensoriel. Une œuvre à habiter, traverser, ressentir.
Dans une pièce plus reculée, l’installation du Everyday Lusaka Gallery réécrit l’histoire des studios photo zambiens. À travers les portraits d’Alick Phiri et les archives du Fine Art Studios, cette salle devient un sanctuaire. Il y a quelque chose d’émouvant à voir ces visages posés, cadrés, imprimés dans un noir et blanc granuleux. Ils racontent une dignité silencieuse, une mémoire retrouvée.
Plus loin, on tombe presque par hasard sur Primordial Earth de Leonard Pongo. Immenses textiles tombants du plafond, entre racines et cosmos, mémoire congolaise et mythologie intime. L’œuvre ne se laisse pas photographier. Elle s’impose. Elle habite l’espace comme un souffle ancien.
C’est aussi dans les interstices que naît l’émotion. Chez Ndidi Emefiele, les superpositions de matériaux, les textures riches et les disques créent un langage visuel puissant, à la fois sensuel et politique. Une esthétique dense et audacieuse qui rend hommage à la complexité des identités noires et féminines. Un travail profondément incarné.
Encore, chez Afeez Onakoya, le corps se fait sculpture picturale, entre peinture et volume, réactivant les rituels visuels de l’héritage nigérian.
Et puis, il y a les filiations qui se confirment. Année après année, certaines galeries reviennent avec des artistes dont la démarche se creuse. C’est le cas de Buqaqawuli Nobakada, présentée par Affinity Gallery : un univers sensible, féminin, de la mémoire fine et poétique.
Un bijou textile suspendu au milieu d’un escalier en colimaçon. Une pièce qui vous regarde au-dessus de la cheminée. Un visage sculpté swaguée au sourire or. Des pièces singulières. Tant de choses sur lesquelles nos regards de curieux, néophytes, amateurs, confirmés se posent, observant chaque recoin. La scénographie joue avec les corps, les seuils, les pauses.
Rugyatou Ylva Jallow, Patrick Quarm, Albertz Benda Gallery©️ the Narrative - Leonard Pongo, Project Loop Gallery ©️the Narrative - Afeez Onakoya, O’DA Art Gallery©️the Narrative
ÉQUILIBRE EN CONSTRUCTION
Ce que révèle cette 13ème édition, c’est une pluralité assumée. Une foire qui, loin de figer une “identité africaine”, célèbre les multiples récits, esthétiques et trajectoires de la création contemporaine.
La forte présence nigériane s’inscrit dans un contexte global de reconnaissance accrue : le Nigeria ne se contente plus d’être un vivier artistique, il devient un acteur structurant du récit mondial de l’art. Dans ce cadre, 1-54 joue un rôle de chambre d’écho, laboratoire et caisse de résonance d’un basculement culturel en cours.
Mais le reste du continent n’est pas en reste. Des galeries d’Afrique de l’Est, de l’Afrique du Nord (comme Loft Art Gallery)ou des Caraïbes (comme Tern Gallery) imposent leurs récits. Le travail de Circle Art Gallery (Nairobi), par exemple, apporte un regard neuf sur une région encore peu représentée dans les circuits internationaux. Cette édition confirme que la cartographie de l’art africain est mouvante, polyphonique, indisciplinée.
Autre geste fort : 22 galeries sont dirigées par des femmes, et 5 booths leur sont entièrement consacrés. Ce n’est pas un simple signal, mais une volonté explicite de rééquilibrer les dynamiques de pouvoir dans un milieu artistique encore largement façonné par des figures masculines.
Enfin, l’hommage rendu à la curatrice sénégalaise Koyo Kouoh, disparue récemment, rappelle l’ancrage intellectuel de 1-54. Le Forum, devenu espace de parole et de pensée critique, ouvre des perspectives nécessaires : décolonialité, mémoire, transmission, spiritualité.
“ We must invent new languages to speak from places that were never meant to be heard. ”
— Koyo Kouoh
Rugyatou Ylva Jallow, Albertz Benda Gallery©️ the Narrative
La foire 1-54 nous rappelle que l’art, même exposé dans une foire, peut dépasser le cadre marchand. Qu’il est avant tout lien, vibration, transmission. L’édition 2025, ne cherche pas à tout dire. Elle nous laisse au contraire avec des silences, des images à digérer, des pistes à creuser. Comme tout bon labyrinthe, elle ne nous enferme pas. Elle nous ouvre.
*** Jusqu’au 19 octobre : 📍Somerset House, Londres
Everyday Lusaka Gallery ©️ the Narrative - Buqaqawuli Nobakada, Affinity Gallery ©️ the Narrative - Jack Kabangu©️ Solomon-Gallery

